Une cabane perchée

Elle ressemblerait presque à une de ces vestales de l'antiquité… robe blanche, mèches d'or tombant sur ses épaules en une auréole de soleil, peau diaphane…

Une vestale? Non mais quelle blague! La chasteté? Et puis quoi encore? Je préfèrerai presque me retaper mon ex-mari… même mort… non… faut pas déconner non plus!

Avec autant de majesté qu'un dément sortant de l'asile, la Duchesse se dirige directement de la porte de la salle de pluie à la sortie de la grande maison. Pieds nu sur les planches de bois, elle avance au milieu de ce village perché. Elle pose ses mains sur une balustrade et se penche vers l'avant, courbée en deux au-dessus du vide…

Wouah!!!!

Se redressant aussi vite qu'elle s'est penchée, Iris éclate de rire. Le monde paraît si petit à ses pieds, jamais elle n'aurait rêvé mieux. D'un pas enjoué, elle parcourt les passerelles, furète à travers les maisons perchées, jetant un œil ici, un regard là.

Soudain son regard est irrésistiblement attiré. Un sourire étire son visage de porcelaine.

Papa! Je peux avoir une cabane dans l'arbre?

Non ce n'est pas pour les Duchesses!

Elle apparaît, petite cahute rabougrie au milieu des constructions plus imposante. La cabane de ses rêves d'enfant!

S'élançant à travers les ponts de cordes, elle court vers ce rêve incarné, oubliant le vide, oubliant le monde. Elle ne voit qu'elle, ses quatre murs et son toit, la seule chose qu'on lui ait jamais refusée… plus pour longtemps.

Elle arrive sur le seuil. Essoufflée, elle semble hésiter, comme entre les cuisses d'une jeune purribonde en manque d'aventure. Elle a follement envie de la découvrir, d'y pénétrer, de s'en enivrer… mais prudence…

Un premier pas… un second… le bois craque sous ses pieds nus, accueillant son poids en gémissant. Regard émerveillé, elle découvre un trésor, bien plus précieux que bien des fortunes… enfin… presque.

A pas mesurés, elle se dirige vers l'unique fenêtre, contemplant la vue offerte. Elle n'aurait pu rêvé meilleur palace, la Duchesse de Loncourt!

Soudain, le bois se remet à craquer…

Qui ose venir sur mon fief! C'est Ma cabane!

Ca s'approche… encore… encore! N'entre pas, sinon je te mords!

Dos au mur, elle guette, la Duchesse. Les yeux rivés sur la petite ouverture, elle voit apparaître l'étrange femme du bateau. Un frisson lui parcourt la nuque alors qu'elle se pose dans l'encadrement. Elle ne bouge pas, ne cille pas, ne dit rien. Elle se contente de la fixer, des éclairs pleins la rétine et un rictus mauvais au coin des lèvres.

Elle en aurait hurler, crier, insulter cette intruse dans ce monde qu'elle vient de conquérir. On ne lui prendra pas sa cabane! Pas deux fois!

Bien campée sur ses deux jambes, elle lui rend son regard, la toisant de toute son altière arrogance. Un mépris pareil ça se cultive au quotidien, et ça la Duchesse en est devenue experte.

Sa main droite se pose sur le mur, comme pour se l'approprier.

Un pas… et je la tue! C'est ma cabane! Ma Cabane!!!

Pas un geste… pas un mot… on ne lui prendra…

Elle a bougé! La catin! La bougresse! La chienne! Elle veut me chasser, me vider, me sortir! Hors de question…

Comme j'aimerai lui cracher au visage ses mots qui me brûlent les lèvres… pourquoi me prive-t-on de mon arme de prédilection! Un mot… un seul et je l'aurais chassée… un mot…mais rien.

Ma bouche s'ouvre et se referme sur le silence. Mes yeux s'ouvrent en grand, emplis de frustration!

Je te crèverai les yeux! Comment oses-tu? Espèce de… de… je sais même pas ce que t'es!

Toujours le silence et les regards qui s'échangent comme des poignards lancés à l'aveuglette. La duchesse pose une deuxième main sur le bois, pliant ses genoux, prête à bondir.

Sa bouche se tord en un rictus mauvais. Une rangée de dent alignée à la perfection apparaît, comme la promesse d'un châtiment pour le moindre mouvement.

Je traverse cette étrange citée faite de tunnels au travers des arbres, de passages tous tarabiscotés et s’accrochant dans les immenses branches qui composent la forêt.
Même dans Ferrari magasine, j’ai jamais vu de photo d’un tel endroit…
N’importe quoi, fallait oser quand même.

Que faire quand on est paumé dans un village aussi atypique que celui ci… suivre un chemin, mais lequel ?
Suivre les autres ? Non, pas envie de tomber sur le frangin de la gosse.

A force de pensées égarées, sans m’en rendre compte, je me retrouve sur un pont de bois et de cordes. Ça branle un peu, la corde craque sous mon poids, mais ça n’a plus vraiment d’importance, j’ai perdu mes repères, et les tables de poker, les arnaques, tout ça paraît maintenant si loin.

Je marche la tête ailleurs, sûrement à l’ouest, une marche automatique sur un pont suspendu au milieu des arbres. Au bout, un cabane faite des mêmes matériaux, cordes, bois.
Mais qu’est-ce que je fous là…

Des bavardage…

Tiens tiens… la duchesse…

Duchesse et diam’s devraient rimer, en tout cas, son diamant fauché sur le bateau, tinte dans le fond de ma poche, et c’est pas du petit carat.

Elle est là…

Putain, je me tire d’ici…
Non.
La petite me doit des explications. J’ai la tête truffée d’idées étranges, si je m’écoutais je me prendrais pour un commandant de navire ou… un armateur.
Je ne me reconnais plus. Je me retrouve entouré des plus belles filles qu’on puisse rêver et moi… moi, je me mets à penser chiffon et poupée de porcelaine.
Si ça continue, je me mets au crochet et je brode du napperon pour foutre sous ces putains de lampes à abat-jour.
Tout ce que je détestais avant qu’elle me fasse subir ce lavage de cerveau.
Demain, faut que je me trouve un tutu…

Je m’approche…

Mais c'est que ça la démange la chose. Rien qu'à regarder ses petits doigts qui s'agitent, on comprend ce qu'elle a en tête. Elle avance, encore et encore…

La garce!

Crac?! Comment ça crac? Voilà encore des intrus qui s'approchent.

Les yeux de la Duchesse passent successivement de la porte à Céli, le corps toujours arqué. Sans ce bruit suspect, elle aurait déjà bondit sur l'intruse, mais l'arrivée d'un nouvel ennemi potentiel change la donne.

Je cherche dans mon esprit les gens que j'ai vu en compagnie de la fille, ses alliers potentiels, les détrousseurs de cabane qui pourraient prendre le parti de la Chose.

Contre toute attente, c'est le mauvais héros qui apparaît dans l'encadrement de la porte. Lui et sa copine bridée avaient bien failli laissé la Duchesse sombrer dans la grande bleue comme une vieille pierre inutile. Il l'avait aidée finalement, mais visiblement au pris d'un effort surhumain… Salaud!

Visiblement, elle n'est pas la seule à ne pas apprécier l'individu. Si les yeux de Céli avaient jeté des flammes à la Duchesse, maintenant il s'agissait de véritables brasiers ardents qu'elle tournait contre le nouveau venu.

Je sais pas ce que tu lui as fait coco, mais elle te déteste! Ca tombe bien, les ennemis de mes ennemis sont mes amis!

Enfin… A vérifier!

En attendant, elle ne bouge pas un cheveux, passant son regard paniqué de l'une à l'autre, tentant de capter les intentions de chacun. En tout cas, les siennes sont claires, elle ne bougera pas d'ici, quoi qu'il arrive.

Le temps semble avoir suspendue sa course tant ils demeurent tous immobile, statues de cire, de colère et de défi. Au premier qui bouge, la chasse sera sonnée…

Musique

Elle est là…

Je n’ose plus bouger…

Nos regards se croisent et un duel aux regards signé Sergio Léone, musique DB STEREO Ennio Moricone, et j’ai les foies ! Où il est ce foutu gosse… A quel moment, il va surgir et me dégrossir la tronche à coup d’ectoplasme et me faire voler au travers des branches comme une vulgaire plume.

Je mate à droite, à gauche, rien…

OU qu’il est le marmot !

Je lâche pas Céli du regard.
Œil pour œil, dent pour dent ce sera, et si tu me taches le costard, je te refais le portrait façon omelette au fromage.
La clope collée entre les lèvres, le regard vitreux, je suis en mode concentration…
Putain de clope, j’aurais du l’écraser, la fumée commence à attaquer ma rétine…
Putain je sens que j’vais pleurer !

Je me crispe sur mon flingue, j’en ai mal aux doigts. L’illusion de son efficacité m’aide à tenir tête à la gosse…

Elle me foudroie du regard
je tiens le coup, je baisse pas ma garde
je soutiens son jet de vipère du mieux que je peux, et la…
Putain, je me remets à penser tricot !

Non mais c’est pas du jeu la !
Bon la gosse, paix et fraternité, je viens d’adhérer à l’église des adeptes de la fleur au fusil.

Toute façon, je tape pas les gosses moi.

Un coup d’œil sur la Duchesse espérant qu’elle aura la trèèèèèès bonne idée de lui balancer un coup de pied, et de l’envoyer valdinguer dix mètres plus bas…

Vas-y ! Fait-le ! Maintenant !

Rien, pas un tressaute.
Pourtant la gosse est rentrée dans ma tête comme si de rien n’était, encore un peu et elle y installait le câble et pop corne grand cornet, et moi, j’essaye de titiller la cervelle d’une simple blonde et rien, que dalle, pas la moindre ébauche de début de télékinésie.

On peut compter que sur soi.
Tant pis, je déballe le grand jeu.

Je tombe à genoux et je supplie la gosse… je pleure comme un lardon et je lui demande de prendre la duchesse à ma place, essayant de lui démontrer la toute bonne utilité de garder avec elle, ma bienfaisante personne…

La dignité ? C’est quoi, un truc de bonne femme ?

Mais ne jouerait-il pas les héros, le courageux pourfendeur de jeunes filles ! C'est peut-être pour essayer de séduire la pimbêche blonde, qu'a pourtant pas l'air de le trouver trop à son goût. Tant qu'elle reste sur place, ça me va. Duchesse, ayez l'obligeance de vous mêler de vos oignons. J'ai une vengeance à exercer.

Il me lance un regard de héros militaire tout droit sorti du dix-neuvième sècle, il me fait le coup du regard d'acier.

S'il avait eu de la prestance, sans doute aurais-je été impressionnée. Si j'étais encore capable d'éprouver autre chose que de la haine envers lui, peut-être aussi.

Mais ni la condition A, ni la B ne sont remplies. Bien au contraire. Il ressemble à une parodie de gangster, avec son arme.

Son arme. J'ai presque envie de lui rire au nez. Mais je préfère lui réserver la surprise s'il l'utilise, de voir une supposée morte (enfin, morte, mais bref) lui sauter à la gorge. Je vois d'ici la scène : il tire, je m'écroule, il s'approche de moi, et là je le prends à la gorge.

Mais non. Il est pas forcément doué, et je n'en veux pas à la nobliaude au point de risquer de la perforer consciencieusement.

Donc reste à soutenir son regard.

Mais voilà qu'il se met à chercher Ben. Forcément. Mais Ben n'est pas là, enfin je crois. Il se cache peut-être ? Quoi qu'il en soit, l'envie de rire, d'un rire cruel, méchant, purement désagréable, monte et monte encore. Il ne sait rien.

Et qu'il tape pas les gosses, honnêtement, j'en ai rien à cirer. Tout comme sa tentative d'humour. A côté. La balle très loin du panier. Air-ball.
De un, il peut me tabasser tout ce qu'il veut, à part encore plus m'énerver, ça le mènera à rien. Il se foulera les poignets avant que j'aie mal.
De deux, ce qu'il m'a fait c'est mille fois pire, au moins, que de me taper dessus.
De trois, je l'aime pas, je le hais, donc pour l'humour, c'est loupé. Définitif.

C'est bizarre...je n'ai pas suivi les évolutions de la culture, ces soixante dernières années, autrement que passivement. Les flux est entré, mais comme je ne me suis jamais concentré dessus, je ne maîtrise pas ces connaissances. Elles sont là, en latence, attendant d'être réveillées à telle ou telle occasion.

Et ce type me fait penser à une parodie d'un autre mec, imaginaire je crois, capable de balancer une vanne avec cinquante mecs aux trousses et une fille dans les bras. Un anglais il me semble. Ben tiens. C'est pour ça. S'il tient de la perfide Albion, j'ai une raison en moins de l'apprécier.

C'est seulement ensuite qu'il me surprend, pour la première fois.

Quand il tombe à genoux, et qu'il commence à me supplier.

Là, je me dis, il va s'excuser, vu qu'il pleure comme une madeleine, j'imagine que j'aurai droit à des confidences larmoyantes, que j'accepterai peut-être. J'ai pas un mauvais fond absolu. Avec quelques efforts, je pourrais le supporter.

Mais non.

Tout ce qu'il veut, c'est protéger sa petite gueule d'amour. Il préfère que je m'attaque à la duchesse.

C'est pas possible. Déjà que je le considère comme la pire des raclures pour ce qu'il m'a fait, voilà maintenant qu'en plus, c'est un lâche.

Je ferme les yeux, alors qu'avant je n'avais pas cillé au point d'être à deux doigts d'entrer au musée Grévin.

Je le hais, je le déteste, je le méprise, je l'éxècre, je veux lui nuire.

Comment puis-je lui nuire assez pour que ça compense la douleur qu'il m'a faite ?

Il m'a détruit jusqu'à mon plan machiavélique en lequel je plaçais tous mes espoirs de vengeance.

Mon plan machiavélique...

Est-il vraiment enterré...?

Je peux peut-être y arriver par un itinéraire BIS.

Je rouvre les yeux. Le regard n'est plus noir, il est seulement glacial. Mais ce qui a vraiment changé, c'est le sourire. Avant, j'avais disons...un rictus de dégoût. Maitenant, je souris.

Mesdames et messieurs, prenez des photos. La fourberie incarnée.

Laisse tomber (je me retiens d'ajouter "ordure". Il faut qu'il soit encore un brin ouvert à la communication). La Duchesse ne m'intéresse pas.

Et le sourire devient franchement cruel.

Non, c'est ton amie orientale qui m'intéresse. J'allais justement lui rendre visite. Si vous voulez bien m'excuser...

Je me tourne vers la porte, sans lâcher Trapp du regard. En lui souriant, toujours. Et sans avancer. Il va réagir. Je sais pas comment, mais il va réagir.
C'est ce que je veux.

Mon amie orientale ?
Gamine faut arrêter la poudre au gingembre, j’ai pas d’amie, je connais pas d’orientale !

Grommelant…

Tu touches à un seul de ses ongles et je retourne dans ta cervelle moisie et je te renvois les souvenirs de ma vie, cauchemar garantie, pire, je te file le ralenti de mon dépucelage…

Et puis ça suffit, maintenant !

Non mais c’est quoi ce bordel ! Tu rentres dans ma tête sans permission, tu enfournes tous tes souvenirs à l’intérieur, et je te passe les détails du tricot et de cette foutue poupée de porcelaine que j’ai envie de coiffer et de recoiffer…


D’ailleurs… parlons-en de cette poupée de porcelaine…

Tu te souviens…
Oui.. bien sur…
Ce souvenir a l’air tellement important à tes yeux…
Rappelles-toi cette adorable petite poupée de porcelaine…
Rappelles-toi, Céli…

La poupée de porcelaine, Céli…
Souviens-toi !

Et raconte-nous ce qui s’est passé ce jour là…

Gentille, petite Céli, si gentille qu’elle...

RACONTE !

Et bien voilà, on y est.

La gentille petite fille, toujours délicate et somptueuse, avenante et prévenante, cette adorable petite fille de 16 ans, aussi vierge que la meilleure huile d’olive, celle qui berce de ses attentions, de ses petits gestes amicaux chaque membre du bateau échoué et comme par le plus grands des hasards, soigneusement choisi…

Céli croit berner, cerner et jouer les finesses d’âme à l’intellect superbe et précieux, elle joue à merveille de cet instrument qu’est la faiblesse humaine.

Achille, Sibylle, Kheira… tous manipulés par l’adorable fillette égarée et au teint si pâle, au regard si doux sans la moindre défection de tendresse, terriblement attrayante par son incroyable générosité, toujours là où on ne l’attend pas…

Manque de bol, elle a foutue les pieds dans ma cervelle.

Alors voilà, comment je vois les choses gamine… et visiblement, tu n’as pas encore tout compris…
Tout d’abord, tu as mis le bordel dans ma caboche. Le truc, c’est que tu es aussi finaude qu’une mouche sur un carreau.
A force de te taper le nez sur le verre et de voir au travers de la loupe, tu es passée à coté de l’essentiel…
Et moi, j’ai un esprit simple et pragmatique, seulement voilà, je regarde rarement par le petit bout de la jumelle, sinon je serais pas là et mais dans un caniveau, la gueule arrachée et un couteau enfoncé entre les omoplates.

La survie, gamine…

Toi aussi, c’est ce que tu cherches…

Ne t’es-tu jamais demandé pourquoi ton petit frère était revenu ?
Céli… Céli… Céli.

Tu me déçois.

Réfléchis un peu !

Regardes-toi…
Maintenant, souviens-toi de la poupée de porcelaine…

Mais si, allons Céli ! Rappelles-toi !

Qui jouait avec ta poupée…
Qui allait dans ta chambre en cachette, pour prendre ta poupée…
Qui a cassé la tête en porcelaine si fragile…

Céli… tu ne te souviens pas, dis-moi ?

Tu veux qu’on l’appelle…
B…

Bizarrement, après la tempête, je deviens lucide, étonnamment lucide, et toujours aussi froide. Mais avant, j'étais capable de moments de chaleur, de sympathie. Là, en cet instant, je suis un glaçon émotionnel.

Imaginez-vous avec un bulldozer en train de creuser des tranchées dans votre esprit. Et bien vous êtes encore très loin de ressentir ce que, moi, j'ai pu ressentir.

Et dites vous qu'en plus, le terrassier responsable de ces saletés s'amuse à jouer avec ce qu'il a déterré.

Franchement, mon regard a lancé des flammes tout à l'heure, maintenant il évoque plutôt des stalagmites.

C'est celà, oui...j'ai pas tout compris...

Franchement, autant s'il est question de filles, de vol de portefeuille ou de cambriolage, je suis certaine que tu es une référence en la matière par rapport à moi. Dans un autre domaine, idem, je détaille pas, t'es un expert, je suis même pas novice.

Mais au sujet de l'esprit, tu as vécu combien de temps ? Vingt-cinq ans ? Trente ans ? Et ça fait combien de temps que ton esprit a compris qu'il se passait des choses extraordinaires ? Depuis que tu as forcé la serrure du mien ?

Je suis pas une experte, je l'avoue, mais mon esprit est quatre fois plus âgé que le tien. J'irai pas jusqu'à dire qu'il est plus respectable, mais pas loin. Je le pense en tout cas.

J'avoue avoir fait une erreur. J'aurais été américaine, y'aurait pas eu de doute. Je t'ai montré mon esprit, sans poser le verrou. Les gens respectables s'arrêtent à la porte de la propriété des autres. Seulement, je suis tomber sur un pillard. Et un pillard, maison, veste ou crâne, c'est pareil, pour lui, c'est dans l'instinct, il explore.

J'ai même pas la force d'être surprise. Etonnant, non ? La foudre serait tombée à mes pieds si quelqu'un d'autre me l'avait annoncé. Mais là, j'ai que peu d'émotions en stock. Les autres se reposent, il faut bien.

Je suis heureuse d'apprendre que tu as percé ce secret. Ca me dégoûte encore plus. Esprit à l'ancienne, j'espérais que ce serait un preux chevalier qui viendrait me délivrer de mon mal. Mais tu le sais, ça, vu que mon âme a été mise a sac ?

En ce moment, mon frère, je m'en fiche, il se débrouille bien assez bien sans moi.

Y'a qu'un truc que tu n'as pas compris. C'est pas la survie que je cherche.

C'est la vie. La re-vie, si tu préfères.

J'en ai marre de chercher la subtilité. Machiavel a disparu, maintenant j'y vais franco. Plus le temps, l'envie et la présence d'esprit de faire des détours.

Et j'ai une proposition. A prendre ou à laisser. Je sais où aller pour connaître les secrets de mon existence. Et je dois pas y aller seule.

Faut-il que je continue ? Oui, il a l'air un peu dur de la comprenette par moments.

Y'a deux possibilités. Tu m'accompagnes, et peut-être que ça te débarassera de ces horreurs, ces pensées d'une jeune morte de 16 ans. Ou bien tu restes ici, et je me paierais bien un tour, volontaire et déclaré cette fois, dans le crâne de tes petites chéries. J'ai plus rien à perdre, et tu ne peux pas me faire grand chose.

Alors, qu'est-ce que tu en penses ?

[petit post pour le fun, ne vous occupez pas de moi continuez vous êtes grandioses! et ne m'attendez pas, trop de boulot!]


Je me croyais folle, je pensais que la raison m'avait quittée… Visiblement, je suis encore saine d'esprit, en tout cas plus que certains…

Quand ils ont commencé à discuter comme dans un salon de thé, j'ai tapé du pied, pesté en silence, à ma manière, muette et inefficace sur cette île de fou. De frustration, je me suis assise sur le sol, bras croisés, jambes en tailleur, bouche tordue en une moue boudeuse. A force d'immobilité, on s'ennuie, on se fait chier…

Je m'étais juré de faire la sourde oreille, de jouer l'indifférence la plus parfaite… mais comment voulez-vous… ces gens sont fous!

Je fronce les sourcils lorsque le gaillard se met à genoux et implore la gaminette de me prendre à sa place. J'aurais bien bondi sur mes gambettes et fait avaler sa langue à ce couard, mais non… indifférence, boude… t'arrête pas.

Par moment, on parle de moi… La Blonde… Si seulement je pouvais hurler… non ne bouge pas…

Ils sont fous. C'est à n'y rien comprendre. L'un à les souvenir de l'autre, qui visiblement ne vit plus… une histoire de viol, une histoire de vengeance. En d'autres circonstances, j'aurais été chercher du pop corn et j'aurais savouré la scène, mais voilà… pas dans ma cabane.

Un vague espoir, une proposition de la supposée morte… la paix pour moi si un marché passe entre eux. Je me fais discrète, me fondant dans les murs et le sol. Je m'en voudrais de faire capoter une occasion de récupérer la place. Je deviens petite souris, laissant traîner mon oreille, joignant les mains en une prière muette… pourvu… pourvu… pourvu

J’aurais pu lui répondre que la valeur n’attend pas le nombre des années, un relent de mes études avortées aussi vite qu’entreprise, autre chose à faire, tant de pays à découvrir, et ce but, ce but que je vise depuis tout petit, depuis mes premiers pas au milieu des putes et des maques, rue des perdus et des sans soifs, quelle importance.
Ce but que j’ai atteint sans personne, seul et avec la survie en rage.

Elle aussi a la rage, mais elle est différente… tellement morte.

Je voulais découvrir et vivre, tout, pressé, trop pressé, et j’ai vécu, j’ai vu, mais la… côtoyer un cadavre et qui ne nourrit qu’une seule ambition, me faire la peau, c’est digne de Wes Craven, et mon pseudo est Stephen King, et je me sens comme le petit chaperon rouge, les couettes en moins dans un remake de « Promenons-nous dans les bois ».

Elle me hait…

Pourtant, je lui ai rien demandé, c’est elle qui est entrée dans ma tête. Moi, la seule chose dans laquelle je pénètre et pas toujours avec élégance, mais avec force et volonté c’est… dans mes chaussures.

Je peux voir toute la haine qu’elle nourrit, son regard transpire la vengeance, mais il y a autre chose…
Oui… bien sur…
Elle a peur, elle est effrayée, prisonnière d’un monde qui n’est plus le sien, à peine l’age d’entrevoir la vie, et tout qui s’effondre. Parents, frère…

Je peux comprendre sa douleur, sa rage, son désarrois…
J’éprouverais presque de la pitié si elle n’avait pas l’intention de me renvoyer saluer mes ancêtres.

Je marque un point.
Elle refuse de parler de sa poupée…

Pourtant, je commence à lui trouver quelques faux airs de Chukky.

Je gagne du temps…
Je sauve ma peau.

Je te suis.
On prend la duchesse ou on la laisse en plan ?

Que les pédants et ceux qui veulent toujours avoir le dernier mot en prennent de la graine. On ne cloue pas forcément le bec à quelqu'un par de grandes déclarations grandiloquentes.

J'avais déjà prévu mes contre-contre-arguments, au cas où ce cher messire Trapp se soit fendu de quelques réponses à mon énumération fielleuse (je le reconnais).

Mais qu'il la joue profil bas, qu'il accepte sans rien dire, ben pendant quelques secondes, ça me bloque. Bouche bée. Le regard un brin écarquillé. Et pas forcément désagréablement surprise.

Déjà, il veut bien me suivre. C'est le plus important. Plus besoin de fourbir et de manigancer. Ca marche comme sur des roulettes de ce côté-là.

Et en plus, il me surprend. Il n'est pas aussi prévisible que je le pensais. Attention, Céli, il cache peut-être son jeu. Tu ne peux être sûre de rien avec cet animal. M'enfin...quand même. C'est plutôt bon signe. Je ne sais pas pourquoi, je le sens.

Son histoire de Duchesse, ça me plaît, pour finir. Plus on est de fous, plus on rit. Ca me fera un garde du corps involontaire supplémentaire. Pis une présence féminine est toujours la bienvenue. Même quand elle est blonde, et qu'elle a parfois l'air un peu...un peu trop duchesse. Je me comprends.

La seule chose, c'est la façon dont il me regarde. Comme si j'avais à chaque instant l'intention de lui planter un long truc pointu (ou pire, dentelé) entre les omoplates. C'est pas les raisons qui manquent, mais non. Je ne suis pas une meurtrière, et je lui réserve un sort pas forcément mieux.

Je garderai les mains propres.

Je hausse les épaules. Qu'il pense ce qu'il veut. Il n'est pas au bout de ses peines, et d'après ce que m'en a dit Dellah, je vais bientôt devenir le cadet de ses soucis niveau inquiétude.

On peut l'embarquer. Si elle a pas trop peur de filer ses collants.

Le Dieu de l'argent ? Je sais pas s'il existe...

C’est parti !

Je sais pas où je m’embarque, mais qu’est-ce que je risque ?
Rencontrer un petit bonhomme vert et qui me tirera dessus avec un méga colt à laser ? Déjà fait.
Rencontrer un fantôme avec qui je ferais la conversation et qui jouera à vider les tiroirs et tout déballer dans ma tête ? Il est devant moi mon fantôme, et je vais bientôt finir dans l’aile droite de l’hosto psy, couloir des oubliés. Lady m’apportera des fleurs le premier dimanche du mois, et si je suis dans un bon jour, j’aurais peut-être un début d’érection.
Allez fait risette, Céli…

La Duchesse…

Elle est pas un peu partie là ?

Booon… ben, on va se dévouer et se simplifier la tache.

Je rejoins la Duchesse qui se fait aussi petite que possible.

« pourvu… pourvu… pourvu »

Que je t’attrape..

Et je la bascule sur mon épaule.
Colis hissé, en route pour le cimetière des elephants.
J’aurais pu ajouter moi tarzan, toi Jane et pousser le cri qui arrache le tympan, mais sur le coup j’ai pas trouvé ça très subtil…

C'est de moi qu'on parle? Me prendre? Me laisser? J'suis pas une option!

Personne ne décide pour moi. Je sais ce que je veux et ce que je veux c'est resté ICI! Ces gens sont fous. Je ne sais pas ce qu'ils veulent faire, mais ça ne m'inspire que du mauvais. Des suceurs de souvenirs, comme dans le plus mauvais des films d'horreur pour ado en mal d'adrénaline.

Et l'autre lâche, celui qui a failli me laisser me noyer, celui qui à ramper comme un ver devant la gamine pour implorer sa clémence… les mâles… je vous jure…

Je reste immobile, on sait jamais. De toute façon, je ne peux rien dire, à quoi bon protester? Autant essayer de me faire oublier, me fondre dans l'air, me dissoudre… peut être qu'ils partiront et me laisseront enfin tranquille dans ma cabane.

T'approche pas toi! Espèce de fourbe, salaud, niqueur de chèvres, analphabète! Me touche pas avec tes mains de pervers! Ma cabane! Ma cabane! Je veux ma cabane!!!

Le mec m'attrape et me soulève comme un rien et me cale sur son épaule. Je me débâts, je frappe, je griffe, je mords, je me tortille comme un ver qui veut échapper à l'hameçon. Comment ose-t-il? Comment ose-t-il??? Je suis la Duchesse Iris de Loncourt !

Comme j'aimerai hurler, crier, beugler comme une de ces sirènes d'alarme assourdissante.

Pose moi! Immédiatement!

Je me rue comme un cheval fou, son épaule comme terrain de rodéo. Entre deux accès de rage, je vois la gamine partir, le regard amusé. Saloperie!

Coup de hanche, coup de poing, coup de genoux, je me désarçonne, du moins j'essaye. Si jamais tu me lâches… cours vite!