Les coursives tribord

Fallait que ça finisse par arriver.

Qu'est-ce que je fais ?
Malaise...
Malaise...
Non.
Son malaise.
Malaise...
Oui.
Une information.
Mais c'est tout.

Je crois que je sais...
Je crois que je peux y arriver...

Ca n'a pris qu'une seconde.
Mais la femme s'est approchée.
La main sur son épaule.
Son épaule nue.

MALAISEMANQUENERFSAVIFUNEJAUNEUNEBLEUE...

Elle a un haut-le corps et recule en pivotant.
Loin de la main.
Ca passera pour de la surprise.

Calme-toi...
Malaise...
Je sais. Une information.
C'est de la pluie qui tombe, qui coule et qui s'en va.
Pas des pierres qu'on me jette en pleine tête.
C'est à elle.
Ce n'est pas à moi.
Ca coule.
Et ça ne me blesse pas.
Ca ne me blesse pas...

Je souris, nerveuse.
Une main dans les cheveux.

Tu m'as fait peur...

Tu, oui... Vouvoyer quelqu'un qui m'appelle sister, je trouverais ça un peu... un peu. Je souris, de travers.
Elle ne tremble presque pas.... ma main.
Je crois que je peux y arriver.
Tant qu'on ne me touche pas je peux y arriver...

Un rire, ironique.

Mourir plus vite qu'en restant sur cette merde, je ne vois pas comment.

[HRP : Venant du grand salon "Orchestra"]

Un peu titubant, je rentre dans ma cabine.
Plus épuisé que vraiment blessé...
Je crois que ce bateau va vraiment me tuer...
Allez, oublions un peu ça.
Je retire ma chemise en serrant les dents...
Elle colle à la plaie.
Lentement, je retire peu à peu le bandage.
Du sang séché, mais pas de trace d'infection, ou d'élargissement de la coupure.
Je la nettoie avec un gant propre et mille précautions.
Bon, ce n'est pas trop grave, mais vaut mieux quelques points.
C'est là qu'on voit qu'un début de fac de medecine peut servir.
J'aurai dû continuer, ça m'aurait évité bien des emmerdes.
Le fil dans la trousse de soin et l'aiguille sortie, je commence mon affaire.
Pas de douleur, que quelques picotements.
Je serre le fil avec les dents et je termine de le nouer.
En voilà une qui m'emmerdera plus.
Je range tout le matériel, et repose un bandage à l'endroit de la blessure.
Mes yeux se ferment tout seuls, il est temps de me reposer un peu.
Un regard sur ma montre qui indique 7 heures du matin puis je me couche sur le lit sans me déshabiller.
Je parviens à trouver le sommeil rapidement, et mes craintes de cauchemards ne s'avèrent pas fondées.
Le sommeil m'était absolument nécessaire, je commençais à péter les plombs...
Quelques heures plus tard je m'éveille.
J'ai jamais eu besoin de trop dormir, c'est pas forcément un avantage...

- Huuuuum !

Tel un chat, je m'étire. Petit marmonnement de bonheur.
Retour à la réalité.
Hum... Vite que ce bateau arrive à bon port...
De toute façon ça servirais à rien d'appeller les gardes côtes ou d'essayer de m'enfuir sur un canot, les gardes côtes auraient vite fait de tomber sur moi.
Je dois être pas mal recherché...
Une bonne douche, une nouvelle chemise.
On se sent un autre homme...
Oubliés les incidents d'hier... C'est mieux comme ça.
Il est midi à présent.
Dernière journée avant le nouveau millénaire.
ça me fait une belle jambe...
Des voix derrière ma porte...
Dont une qui m'est familière.
C'est Sybille, content d'entendre qu'elle va mieux.
Je me rassoie sur mon lit, prenant une brochure montrant de sublimes plages de sable blanc...
Je m'évade un peu, ne songeant qu'à l'avenir qui ne peut être que meilleur.

Elle est nerveuse. Surement à cause de ma gueule. Je dois avoir le teint pale, des putain de cernes violettes sous les yeux, les traits tirés en un masque mortuaire. Mais qu'est ce que je fous là ? apparemment sa décision est prise et elle a pas besoin de moi.

Mais peut être que moi j'aurais besoin d'elle ! une idée germe dans ma tête... fuir ce rafiot. Ouais bonnard. Mais pas sans Tara !

Elle rit ironiquement. pouffiasse ! tu te foutrais pas de ma gueule là ? Une bleu. Une rouge. Une jaune. Calme toi Kheira ! c'est pas de toi qu'elle se moque, c'est de la situation...

Je resserre l'étau de ma main sur son épaule.

Si tu veux, je peux te tordre le cou sister. C'est pas un problème... Mais je peux aussi dte donner un coup de main à fuir ce raffiot. Mais avant faut que je retrouve quelqu'un. Si tu m'aides... je t'aide. Donnant donnant. A trois on a plus de chance de survivre en mer que toi toute seule. Alors intéressé ?

Allez dit oui... Je le sens pas ce rafiot et toi aussi apparemment. je sais pas ce que t'as vécu. Mais t'as l'air bien plus ébranlée que moi pour vouloir te barrer seule sur les flots. Frissons violents. Mais moi est ce que je vais survivre au sevrage ? Frissons violents.

Pas de temps à perdre. Ta réponse ?

Ma réponse ?

Lâche-moi.

Mouvement rotatif de l'avant-bras, elle chasse la main de son épaule d'un coup de poignet vers l'extérieur.

Merci pour ta proposition, je suis pas un poulet de batterie. Et j'ai pas l'intention de me faire bouffer. Alors mon cou, tu l'oublies.

D'abord tu enlèves ta main, ensuite tu arrêtes de me menacer.
J'ai pas besoin de toi, "sister", quoi que tu aies l'air d'en penser.
Encore moins de toi dans l'état où t'es.
La sueur au front.
Les yeux qui vibrent.
La fièvre dans les paumes.
Le manque une jaune une bleue
Ton copain ta copine j'en ai rien à foutre.

Moi je me casse. Seule ou pas.

En même temps que je parle, je pivote et je continue à dégager les attaches élastiques de la bâche.

Je peux vous emmener, toi et ta copine.

Au choix, il faut des cartes, un GPS, et de la bouffe.
Et...

Nom de Dieu.

La bâche s'est un peu soulevée, et l'odeur...
L'odeur...
Non...
Non..

Non, putain de merde, non, non...

Oubliée la nénette, je m'attaque aux dernières attaches, j'ai une pierre à la place du coeur et l'estomac en vrille, non, non, pas ça...

P'tain ! elle me donne mal au crâne cette gonzesse.Elle repousse ma main qui se voulait amicale. Je la porte alors avec sa jumelle sur mes tempes que j'entreprends de masser. Et ce ton qu'elle emploie ! je me suis pas montrer agressive quand même... Heu après réflexion peut être que si... mais un petit peu !

Faut être lucide, j'ai besoin de son aide. Va falloir que je prenne sur moi pour me calmer mais je suis sur les nerfs là. C'est un exercice qui va pas être facile. Pis ça a pas l'air d'être une de ses empaffées sans jugeotte. Carte, GPS ça doit pouvoir se trouver dans la cabine de pilotage ou dans celle du capitaine. Et la bouffe en cuisine ou dans les salons. Mais faut pas oublier les médocs au passage, et ça... ça se trouve dans l'infirmerie, lieu de passage obligé avant de se tirer.

Boum... Boum... Mal au crâne. Bleu... Jauve... Verte... Manque. Estomac qui se noue... Tara.

Bon ok... je m'excuse pour mon agressivité. Sur ce putain de raffiot on a intérêt à se serrer les coudes si on veut en sortir vivant. Qu'on s'aime ou pas...

Elle m'écoute pas et se met à l'arrêt comme un de ces putain de clebs de chasse devant la bâche...

Je te propose d'aller faire un tour dans la cabine de pilotage ou celle du capitaine, de passer par les salons pour la bouffe et ensuite par l'inf...

Mais qu'est ce qu'elle a bon sang ? je me suis excusée ! elle pourrait m'écouter quand même ! je fais un effort pour être aimable là...

Sniff... sniff... putain c'est quoi cette odeur ? c'est quoi ce plan encore foireux ?

Hey Sister ! qu'est ce qu'il se passe encore ? hey je te cause !

Je m'approche pour me mettre à ses côtés et je suis son regard... oh putain !!! on a vraiment la poisse sur ce cercueil flottant...

Tremblements. Manque. Peur. Panique. On va tous crever je vous le dis !!!

La dernière attache vient de lâcher.
D'un grand geste, elle dégage la bâche, et l'odeur leur saute à la figure à toutes les deux.
Plastique brûlé. Métal. Puanteur poisseuse.

Je l'entends à peine.
Tout ce que j'ai en tête c'est l'odeur, ce qu'elle implique, pour ce canot, pour les autres, non, putain de merde, non, pas ça...

J'attrape le portique côté moteur, balance mes jambes dans le canot, et je finis de virer la bâche qui était restée enroulée autour.

Le capot a l'air intact.
Mais ça pue, ça pue la rage, et c'est bien de là que ça vient.
Je pose la main sur le plastique.
Froid.

Eh merde, eh merde, eh merde !!!

La banquette à côté, je la soulève. Cordages. Pas celle-là.
L'autre. Bingo, les outils.
Je me fous le la casse, j'attrape un gros tournevis plat.
Glissé entre le capot et le bâti métallique. Levier. Le plastique cède dans un grand craquement.

Eh merde.

Bordel de putain de saloperie de merde, pas ça, saleté, t'as pas fait ça !!!

Le moteur apparaît.
Difficile de reconnaître ses organes. On dirait qu'ils ont fondu et se sont recombinés en une étrange masse magmatique...
Quelques circuits noircis et tordus émergent, pitoyable.

Elle retourne le capot cassé.
Intact à l'extérieur.
L'intérieur est noirci et boursouflé, orné de coulures de plastique.

Putain de merde, espèce d'ordure, t'as pas fait ça, t'as pas pu faire ça...

Je murmure à toute vitesse, folle de rage, folle de trouille...
Je ne veux pas rester ici, je ne peux pas, je ne veux pas crever ici.

Je lâche mon capot, je saute hors du canot, en m'accrochant au portique.
Le suivant est là, 20 mètres plus loin.

Viens ! Viens m'aider, vite !

Je ne regarde même pas si elle me suit.
Je me rue vers le canot suivant, le tournevis en main.
Et la peur au ventre.

C'est fou ce que les publicités pour des destinations de rêves sont déprimantes...
Surtout quand on a rien de mieux à faire.
Je m'appretais à nouveau à plonger dans les bras de Morphée quand l'Apocalypse se jouait à côté de ma chambre.
Cris, Fracas.
Mais qu'est ce qu'ils foutent ?
Un remake de Titanic ?
A moins qu'ils veuillent élargir le grand salon...
Je me frotte le visage, et je me redresse.
D'ordinaire, je ne suis pas curieux, et je n'aime pas me méler des affaires des autres mais là...
J'enfile rapidement mes chaussures, puis je me dirige vers la porte, appréhendant un peu ce que j'aller y trouver derriere...
Un grincement plus tard, je m'avance vers la rambarde, où se trouve quelque chose d'étrange.
Un canot, ou plutôt ce qu'il en reste à été découvert.
Une odeur âcre flotte encore dans l'air, et me fait grimacer.
Ca sent vraiment la Mort...
A côté de moi, une femme que je n'avais pas apperçue avant.
Je me hasarde, puis me tourne vers elle et lui demande :

- Excusez moi... Vous savez ce qui c'est passé ?

Ne pas accuser les gens trop vite...
On ne sait jamais ce n'est peut être pas elle.
Mais où est Sybille que j'ai entendue tout à l'heure ?
C'est un autre bruit qui me donna la réponse.
Quelques mètres plus loin, j'apperçois sa silhouette courant vers un canot.
Elle est dans un état second, et dans la main elle a un tournevis.
Mais qu'est ce qui ce passe ?
Peut être que l'autre femme le sait...
J'observe Sybille, me demandant si elle n'est pas devenue folle...
Pas de sentiment de pitié, juste une envie de savoir...

J'ai vu juste. Et rien qu'à l'odeur de plastique et de métal cramé, plus de moteur. Fondu celui là. Elle s'échine à retourner tout ce qu'il y a dans le bateau. Rien. Mais ça je m'en doutais. J'en ai cramé plus d'un de moteur de tire. Avec son tournevis, elle arrive à enlever le capot du moteur, et là je retiens un sanglot de panique. Mais qui est ce qui nous en veut à ce point pour nous bloquer sur un putain de bateau ou il se passe des choses pas normal ?

Mais de qui elle parle ? pourquoi elle dit "il" ? elle le connaît l'enflure qu'a fait ça ? mais qu'elle crache le morceau !!! qu'on lui demande de nous sortir de ce merdier avant de lui faire la peau !

Elle se barre déjà vers une autre chaloupe. Pas la peine qu'elle me le demande, je suis prête à me lancer à sa suite pour l'aider lorsqu'un gus émerge des coursives. Jamais vu celui là. Mais il peut peut-être nous aider à jeter un oeil à toutes les chaloupes. A trois ça ira plus vite.

Ce qui passe ? il se passe qu'on va tous crever sur ce putain de rafiot parce qu'un connard a sans doute cramé tous les moteurs des chaloupes !!!!

Je deviens limite hystérique. mais j'arrive pas à juguler ma panique. Y a plus d'espoir. C'est la mort que je vois au bout de ce voyage. J'ai tout quitté pour lui échappé et elle me revient en pleine fasse telle un boomerang ici même. Putain. Comme dans le film destination finale en fait ! la mort on ne la fuit pas !!!

J'attrappe le gus pas le poignet, et le tire avec moi pour aller rejoindre la nana.

Viens... tu vas nous aider à vérifier toutes les chaloupes. Scuse mon emportement. Je suis en manque. Et je panique grave là. Je veux pas crever... tu piges ça hein ? je suis sûre que toi aussi tu veux pas crever hein !

Arrivée près de la nana, sans lacher le poignet de l'homme, je lui demande :

Alors... celui là aussi, il est foutu hein... heu... Mademoiselle... heu... ?

Elle a juste détaché un coin de la bâche.
Juste assez pour que l'odeur sorte.

Elle reste un bras sur la coque, et le front sur son bras.
Elle essaie de se calmer, mais c'est pas facile...

La fille arrive, remorquant un type après elle.
Elle lève la tête, et le reconnaît.
Elle a l'air tellement fatiguée tout à coup...
On lui donnerait le double de son âge...

Trouble, frayeur...
Cette fois, on les partage.
Lui non, pas encore, pas vraiment.
Lui il a la tête de quelqu'un qui essaie de suivre le dialogue de deux folles à lier...

Oui... Il est foutu... Je crois...

Un soupir.
Découragement.
Envie de baisser les bras.
J'en ai assez, assez...

Allez...
Il faut vérifier.
Il faut être sûre.

Elle se redresse, passe sa main libre dans ses cheveux, en tirant un peu dessus...

Tu me donnes un coup de main ?

Elle rattaque les élastiques.

On va les vérifier.

Clac...

Tous.

Clac...

Sibylle.

Clac...

Je m'appelle Sibylle.

Clac... Clac...

Et toi ? Ton nom ?

Clac...

Un raz de marée...
Cataclysm girl à parlé à une telle vitesse que j'ai eu un peu de mal à tout enregistrer...
On dirait un pile qui aurait pris forme humaine.
Je la regarde en fronçant un sourcil.
Elle me parle de quelqu'un qui aurait saboté tous les moteurs des canots...
En jettant un oeil à l'embarcation, je vois en effet qu'elle n'a pas tort...
C'est là qu'on se dit :
Mais qu'est ce qui m'a pris de foutre les pieds dans un trou pareil !?
Bon restons calmes.
De toutes façon y a une chance sur mille qu'on coule...
D'ailleurs je ne comprends pas bien leur comportement...
Par quoi sont elles effrayées ?
L'incident de la nuit dernière ?
C'est possible...
Mais de là à vouloir risquer sa vie sur une coque de noix.
En plein pacifique.
C'est pas le petit lac du coin.
Avant que je puisse lui répondre, elle m'a déjà pris par le poignet et amené vers Sybille.
Elle semble totalement différente de la fois où nous nous sommes rencontrés au bar...
On dirait une autre femme.
Je voudrais lui sourire mais je n'y parviens pas.
Un regard perdu à l'une et à l'autre.
Sybille prend la parole après m'avoir regardé.
Mais qui est foutu ?
Qu'est ce qui ce passe ?
Je demande alors, comme si je débarquais de la galaxie d'à côté :

- Heu... Vous croyez vraiment que c'est une bonne idée ?
Je ne sais pas si vous savez, mais l'Océan c'est pas l'endroit le plus sûr au monde...
Qu'est ce qui vous effraie à ce point ?
L'an 2000 ?
Je pense que vous avez bien plus de chance de survie à rester ici plutôt que de prendre la mer...
Si vous voulez bien m'expliquer...

Un peu plus et je les regardais comme deux folles...
Mais non, plutôt choisir la patience.
Je ne comprends plus rien, tout m'échappe depuis que je suis sur ce rafiot.
Je ne contrôle plus rien.
J'ai horreur de ça...
Si il y a une chose dont j'ai une sainte horreur c'est bien les surprises...
Voyons voir ce qu'elles m'ont préparé...
Elles n'ont pas tort...
Ce tas de ferraille pourrait bien me rendre barge.

Alors là...

Je laisse mon élastique en plan et je me retourne.

Il peut pas parler sérieusement.
Il était dans le grand salon, je le sais, il a vu et entendu tout ce qui s'est passé.
Impossible qu'il parle sérieusement.
Ou alors il a bu.
Mais ça ne sent rien.
Il a le regard flou, mais ce n'est pas l'alcool.

Est-ce qu'il pourrait être imaginable qu'il soit complètement con ?
Je n'avais pas eu cette impression, pourtant...

Elle reste à le regarder avec les yeux un peu écarquillés, une seconde ou deux.
Toute bête avec son tournevis encore dans la main.

Je ne sais pas si c'est une bonne idée d'essayer de lui faire comprendre.
S'il ne voit pas déjà de lui-même, c'est qu'il minimise, refuse...
Pourtant, je me souviens de lui... (mourir, pourquoi pas)
Je me souviens de lui.
Il avait peur.
Mais pas seulement pour lui...

Elle se retourne vers les élastiques et reprend sa tâche.
La voix sourde, elle lance quand même quelques mots au-dessus de son épaule.

Cet endroit est le moins sur au monde.
Et le risque n'est pas si grand, si on trouve un moyen.
Nous ne sommes partis que depuis moins de 12 heures.
En trois jours maximum on peut rejoindre la côte.

La bâche est détachée, elle la dégage, même grand geste ample.
Elle grimpe dans le canot. Et grogne.

Mmmmh... De mieux en mieux...

Les dents serrées, elle s'accroupit entre deux bancs.
Le moteur dégage la même odeur que l'autre.
Et en plus, trois trous gros comme la main, aux contours noircis, ornent le fond de la barque.

Clac...
Clac...
Clac...

Irritation. Ca me porte sur les nerfs ce bruit. Mais qu'elle arrête !

Clac...
Clac...
Clac...

J'ai le temps d'imprimer ce qu'elle dit quand même. Sybille. Jolie nom qui lui va bien à la gonz'. Je vais pour lui dire mon nom lorsque le minet prend la parole. J'hallucine ? mais il se rend pas compte de la situation ce con ! c'est pas possible... il doit avoir fumé un pet de trop. Pet ?

Ni une ni deux, je le pousse près de la rambarde près de la chaloupe, y colle le bas de son dos, lorsque Sybille essaie de lui faire entendre raison. Je lui lève les bras en l'air, pendant que mon genou gauche s'insère entre ses cuisses pour les écarter.

Bouge un sourcil, et tu passes par dessus bord !

Minutieusement, je commence ma fouille tandis que Sybille monte sur le canot. Torse. Sybille inspecte les banc. Taille. Sybille grogne. Poches avant et arrière du pantalon. On est foutu. Bas du Pantalon. Rien. Que dalle. Pas un pet. Pas une barre de chit. Pas une pilule.

Soupirs. Je le relâche, tremblante. Mélange de manque et de déception. Et me retourne vers Sybille, l'air interrogateur.

Et à la rame ça nous prendrai combien de temps ? doit bien y en avoir dans le canot non ? Au fait je m'appelle Kheira... et toi le minot, c'est quoi ton petit nom ?

Merveilleuse femme...
Ne pas s'énerver, surtout dans ma position.
C'est pas dans mes projets de fonder une grande famille mais bon...
Je vais essayer de garder mes attributs intacts.
Un peu sauvage la demoiselle... Voire même complètement barge.
J'essaie de l'excuser.
La pression, le stress...
Je suis pas un maître dans le self control, mais s'énerver ça ne sert à rien.

- Hum... Calmez vous, Mademoiselle.

Doute et indécision...
Deux mots dont j'ai une sainte horreur.
Ce sont en quelque sorte mes démons.
Voilà qu'ils reviennent à la charge, poussés par les mots de Sybille.
C'est un nom qui lui va très bien d'ailleurs...
Elle sait.
J'essaie de me rappeller la nuit dernière, ces instants que j'ai tenté d'effacer.
Il y a quelque chose, ici, elle a raison.
Mauvais ou pas ?
J'ai rarement vu de bons présages vous tétaniser à ce point.
Et puis... De toutes façons, cette histoire semble étrange.
Pourquoi certains canots sont ils ainsi démolis ?
Et surtout, pourquoi l'autre soir le bateau c'est il ainsi soulevé ?
J'ai trop tendance à laisser couler les choses...
Amy et Moi sommes aussi concernés.
Après mettre passé la main dans les cheveux, je soupire.
Je n'ai pas embarqué sur le Titanic...
Mais plutôt sur un bateau dont les canots sont de la même époque, plus ou moins.
Un regard à ces deux jeunes femmes, étranges, peut être même avec un grain de folie.
Mais je crois qu'elles ont raison.
Depuis le début je sentais que tout allait foirer.
Certains disent que la roue tourne...
Foutaises, si les fées se sont posées sur mon berceau, c'est pour y gerber.
Si seulement il n'y avait pas eu ma soeur, ça ferait un bail que j'aurai disparu de la circulation.
A moins que je n'ai même pas le courage pour ça.
Léger sourire, nous en avons tous besoin, puis je dis à voix basse :

- Vous n'avez pas tort...
De toute façon il faut vérifier ces canots...
Je doute qu'un bateau puisse amarer avec de telles coques de noix à son bord.
Pour le reste, j'aviserai ensuite, ma soeur est encore à bord...

Je me tourne plus particulièrement vers celle qui tient encore mon poignet. Elle me tutoie déjà. Bon c'est pas grave, on a pas été élevés pareil. Je lui réponds alors :

- Mon nom à moi c'est James. Vous pouvez me lâcher, vous savez, je ne risque pas de m'envoler, ni même de m'enfuir en courant.

Un nouveau sourire en coin.
Pourquoi je leur fait confiance ?
Sûrement ce qu'on appelle la solidarité en moment de crise...
Je me suis pas plu dès le début sur ce rafiot...
C'est pas tout mais...

- Par où on commence ?... Ya de quoi faire...

J'inspecte la coque, et le choc bizarre me fait lever les yeux.

La seconde d'après, c'est mon sourcil gauche qui se soulève.
Et la suivante, c'est le coin de ma bouche.
Alors ça c'est du body language...
Elle a les préliminaires agressifs, la sister...

Je baisse les yeux, Sib, un peu de discrétion...
Marrant, ça...
Le dixième de ça d'habitude, rien que la charge érotique, je m'enfuis en courant...
Et là ça ne me fait strictement rien.
A part sourire...

Ca n'a peut-être rien à voir...
Ca n'a pas grand chose à voir.

Enfin bon, on a autre chose à faire.

Kheira, donc.

La rame, laisse tomber...
A la rame on en a pour trois semaines, en admettant qu'on se relaie sans arrêt, et encore... On dériverait, je ne sais même pas où on irait se perdre...
Au moteur, c'est jouable.
A la rame...

Je relève les yeux sur eux.

A la rame c'est du suicide lent.

Pas d'autre solution.
Désolée de doucher l'ambiance mes bons amis...
Pas d'autre solution.
Il faut trouver un canot utilisable...

Et dans un canot on met dix personnes au plus...

Elle se redresse, saute hors de l'embarcation en s'appuyant sur le bord.

On se partage le boulot ?
Ou on reste ensemble ?

Quelques heures plus tard, à peu près au même endroit...

Ils ont fait le tour des coursives et des ponts, et le résultat de leur recherche se lit dans le pli du coin des lèvres : chou blanc.

De retour près du premier canot, elle s'empare du morceau de capot arraché sur le moteur, le retourne, frôle distraitement les coulures et boursouflures noircies de l'intérieur de la surface.

Ca ne veut pas qu'on parte.
Ca ne veut pas qu'on lui échappe.
Sauf par la mort...
Bordel de merde, trois morts...
Et une disparue.

Les rumeurs sont rares mais ils ont entendu.
L'échange de coup de feu, tôt, et les cadavres...

Ca s'en fout qu'on meure, tant qu'on meurt ici.
Ca ne les a pas empêchés...

Je me sens si lourde...
Fatiguée.
Et toute cette activité imbécile, ces rires factices...
Comment peuvent-ils ?

En traversant le pont ils les ont vus, les paons et les linottes, qui pataugeant, qui jouant de la prunelle, sourire aux lèvres et la viande à l'étalage.
Elle a tourné la tête, le coeur au bord des lèvres.

Trois morts nom de dieu...
Des évènements inexplicables...
Et nous, bientôt...
Est-ce de l'inconscience, de la bêtise ?

Non, Sib, tu le sais ce que c'est, souviens-toi...
"Ce qui arrive aux autres ne m'arrivera pas, pas à moi, je suis invulnérable"...
Ce paradoxe qui provoque la panique, quand ils se rendent compte, qu'ils réalisent que oui, les prochains sur la liste, c'est eux...

Tellement fatiguée...

Elle appuie le front sur le dos de sa main, les yeux fermés, une seconde...
Puis elle balance le bout de plastique dans le bateau inutilisable.
Sourire amer et épuisé.

Si quelqu'un veut un souvenir...

Moi je garde le tournevis, comme souvenir... me souvenais même pas de l'avoir trimballé tout ce temps...

Qui a une idée ?...

Voix un peu étouffée, elle n'ose pas vraiment les regarder.
Elle regarde le soleil qui descend doucement.
Elle frissonne...

On a perdu notre temps à faire le tour des canots pour que dalle. Enfin si... maintenant on est fixé. On quittera ce rafiot les deux pieds devant... plutôt dans l'eau.

Au loin rire, musique. Le réveillon. Moi qui suis la première à faire la fiesta d'habitude, pour une fois j'en ai pas envie. En passant à côté d'eux, j'ai essayé de repérer Tara mais je l'ai pas vu. Putain elle est ou ? pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé !

Je fixe la mer, écoute d'une oreille distraite Sybille. Pourquoi ne pas se jeter à la mer pour en finir tout de suite ? après tout c'est ce qui va nous arrivé tôt ou tard. Je le sens dans mes tripes. A quoi ça sert de s'acharner à vivre. Y a rien autour de nous. Que de l'eau à perte de vue. Et la nuit qui tombé. C'est lorsqu'il a fait nuit qu'il est arrivé des trucs vraiment bizarre... Le temps nous est compté...

Qui a une idée ?

Pas moi. J'ai le cerveau qui marche au ralenti.

Pfff... Rien qui me vient à l'esprit dans l'état que je suis. Je vais aller chercher mes... enfin quelque chose et essayer de retrouver Tara. Et vous ? vu que la nuit tombe, je vous conseille de pas vous éloigner des festivités... et le réveillon risque de prendre une autre tournure.

Lassitudes. Frissons. Torpeur. Moiteur. Chaud. Froid...

Je vous dit peut être à tout à l'heure mais j'en doute !

Adossé au mur, le regard vide.
Les tenailles que j'avais récupéré sont encore dans ma main.
Elles tournent dans un sens et dans l'autre, totalement dépendantes de ma volonté.
Un peu comme nous...
Je suis pas spécialement croyant à une entité supérieur capable de nous diriger. Dieu, ou quoi que ce soit d'autre n'existe pas...
Sinon ça ferai longtemps qu'on aurai prouvé son existence.
A part rassurer les hommes en leur faisant miroiter une après-vie heureuse, je ne vois aucun interêt...
Mais pourtant je commence à douter.
Tout ce qui nous arrive, c'est pas net.
Je regarde les deux femmes proches de moi.
Elles semblent aussi perdues que moi.
Une goutte de sueur froide descend le long de ma colonne vertébrale...
J'en ai vraiment ras le bol...
Sans un mot j'écoute tour à tour Sybille et Kheira.
Il y a déjà des morts.
C'est cet endroit, Sybille avait raison... Il est malsain.
Nous voilà dans une impasse.
Peut être est ce la fin du voyage qui s'annonce...
Je dit alors, en essayant d'avoir l'air le moins résigné possible :

- On peut pas dire que tout ça a été très concluant...
En tout cas, je m'excuse d'avoir douté de vous...
Je crois que la seule option qui s'offre à nous serait de faire machine arrière. Je doute que l'équipage nous laisse faire et personnellement je ne suis pas tellement qualifié pour manoeuvrer ce genre de bateau...
Pour faire simple, je me sens complètement inutile.

Sourire un peu forcé.
Il faut à tout prix que ma soeur vive...
Je regarde alors Kheira qui nous donne quelques conseils :

- Je vais finir par croire que Nostradamus n'a pas écrit qu'un torchon...
Pour ce qui est de la fête, faut pas compter sur moi.
Je sais pas encore ce que je vais faire mais ce qui est sûr c'est que je risque pas de mettre les pieds là bas.

Si je dois creuver ce soir autant le faire en étant un minimum heureux...
C'est pas gagné sur ce rafiot.
Léger signe de tête à Kheira, qui s'éloigne.
Je vais rester un peu dans le coin je crois...
Un coup d'oeil à Sybille.
Elle a besoin d'être réconfortée, mais je vois rien de positif dans le coin.
Tant pis.
Je vais être comme j'ai toujours été, seul, ne me mêlant pas des affaires des autres...

La fête... Quelle blague.

Aller me perdre au milieu de tous ces inutiles qui n'ont rien capté ou choisi d'oublier, et qui se pavanent le verre à la main et la tenue de soirée rutilante... Non merci. Pas pour moi...

En ce qui me concerne ce sera un petit tour d'horizon pour trouver quelque chose à manger... Et puis retour au frais dans ma cabine. Je m'en voudrais de plomber l'ambiance par de mauvaises nouvelles...

Et puis peut-être que ça n'arrivera pas.
Rêve pas.
Oh, ta gueule...

Elle baisse un peu le nez, en jouant avec son tournevis...
Un moment son menton se crispe. Puis elle inspire profondément, se redresse. Elle lève les yeux sur James, croise son regard.

Découragé, morne...
Abattu.

Je ne sais pas comment je suis arrivée à lui sourire...
Quoique, est-ce qu'on peut appeler ça un sourire, cet étirement bref et asymétrique de la bouche... Enfin soit. J'ai pas mieux.

Une petite chasse au sandwich, ça vous tente ?

Autant se lester l'estomac, on coulera plus vite...
'reusement que je l'ai retenue, cette réplique-là... Dans le genre cynique et grinçant... Mon sourire s'accentue.

Moins prétentieux comme gibier que le toast au foie gras...
Et puis on nous le disputera moins.

Positiver...
Un mot dont j'ai toujours eu horreur.
Se voiler la face, essayer de tromper la réalité.
Les petites phrases telles que "ça ira mieux la prochaine fois" ou encore "ce n'est pas si mal"...
Foutaises, quand quelque chose ne va pas il faut trouver la solution au lieu de se satisfaire de maigres paroles réconfortantes.
Mais quand on a beau chercher sans trouver ?
Sybille me regarde et sourit.
Léger et faible.
Elle fait un effort surhumain pour vaincre son angoisse...
Tellement étrange...
Cette femme parvient à me prendre un de mes rares sourires à l'arrachée...
C'est vrai que c'est bien d'être avec quelqu'un dans la même situation que vous...
Mais je ne veux pas m'attacher...
Il n'y que quelques mois je l'aurai envoyée balader sans scrupules, mais ici tout est différent.
Je la regarde dans les yeux, ultime moment d'hésitation puis je lui dis :

- Va pour un safari aux sandwiches, je n'ai pas de meilleur programme de toute façon... Je vous suis.

Je me redresse.
Tiens, mourir en s'étouffant avec un bout de pain serait un bonne idée...
Au moins ça m'évitera de me tremper.
C'est tout de même étrange de savoir que l'on va mourir d'un instant à l'autre...
Il y a même pas la surprise de l'annonce.
La Mort nous accompagne tout au long de notre vie, parfois elle nous frôle, mais ici elle est présente partout.
Stop... Essayons de passer un moment agréable.
Je me passe la main dans les cheveux, pousse un léger soupir, et lui refait, prêt à emboîter le pas.

Il m'emmène, je me laisse guider.
Je ne saurais pas quoi décider de toutes façons.
Il a l'air solide mais il est jeune.
Le larbin, là. C'est du solide. Il a l'air d'un homme sur qui on peut compter. Rick doit pouvoir compter sur lui. Je ne suis pas sûre qu'il s'en rende compte.

On sort, le vent de début de soirée est tiède, c'est un délice.

Rick, ce bateau est hanté.
J'ai vu...

Un hoquet me prends, ma main droit se plaque sur ma bouche comme pour empècher le mot de sortir.

Un fantôme, Maélia, tu as vu un fantôme! C'est un fantôme qui a foudroyé tout le monde et qui a mâchouillé le type au drôle d'accent comme un vulgaire chewing-gum!

J'ai vu un fantôme, Rick!

Ma voix s'est brisée en disant celà, comme une voiture qui dérape.
Je dois avoir l'air d'une folle.
Peut-être que je le suis.
Je ne crois pas que je pourrais raconter la grande tête, le Grec...non, ça je ne pourrais pas.

Bon, ça se resserre, ça se rapproche... vivement qu'il se l'envoie et qu'il passe à autre chose, elle a pas l'air d'être du style à laisser tomber facilement. Il faudra que je pense à m'expliquer avec elle un peu,des fois qu'il lui vienne des idées tordues...

Encore? Il en aborde une nouvelle alors qu'il a déjà son parasite collé sous le bras? Quelle santé mon garçon !





Prudemment, je reste quelques mètres en retrait. Si la gonzesse n'a pas l'air trop agressive, je me méfierai plus des deux tronches de hareng derrière... D'un coup d'oeil professionnel, j'examine les lieux.

Issues possibles... ok.
Particularités des lieux... ok.
Armes potentielles... ok.
Bosses suspectes sous l'éssaile gauche... ok.

Les mains croisées dans le dos, j'observe la scène, lèvres closes. Pas de grimace, pas de sourire, un marbre de Michel-Ange serait plus mobile que ma pomme.

Je vais pour quitter la coursive, titubant un peu lorsqu'un couple suivi d'un larbin, à n'en pas douter vu sa tenue, font leur apparition. Je me sens détailler des pieds à la tête et j'aime pas ça.

Je leur rend la pareil. La femme est d'une beauté ténébreuse, mystérieuse. Elle me donne l'air d'être absente, d'être là sans être là. Serait-il possible que ? non ! pas de fouille sister !

Son mec, hormis son regard fureteur, je le trouve plutôt fade, sans intérêt comparé à sa compagne. Dans d'autres circionstances je ne l'aurait même pas remarqué.

Le larbin... On dirait un croque mort avec sa gueule froide et sans expression. Pire un mort tout court quand on voit comment il se tient raide comme s'il avait un piquet planté dans le cul. C'est net, il a une gueule qui me revient pas lui !

Je reprend ma marche, fait un signe de la main en guise d'au revoir à Sybille et James. Je sais que je ne les reverrais pas.

Hein ? c'est quoi ça... Je me précipite à la rambarde pour voir ce qui a attiré mon regard. Y a quelque chose qui flotte sur l'eau. Avec la nuit qui tombe, j'ai du mal à distinguer ce que c'est. Y a plein d'hypothèses qui se bousculent dans ma tête. Le bateau s'en rapproche doucement. La chose flotte toujours.

Oh putain !

Au secours !!!! de l'aide !!!! un homme à la mer !!!!

C'est un coup de bol, un autre du genre qui m'arrive tout le temps. La planche à naviguer haute et large comme un immeuble, qu'est-ce que vous voulez sentir la mer quand vous montez la-dessus, elle me fonçait droit dessus. Moi, je délirais grave genre absinthe en intraveineuse. L'écume que dégageait le paquebot provoquait un courant impitoyable qui me berdançait en tout sens. J'ai beuglé entre deux goulées de flotte salée. Mais, rien que le bruit du moteur couvrait ma voix. Le planton se fait-il entendre de la baleine quand elle ouvre la bouche ?

J'ai vu ma dernière heure, mais y avait de lumière blanche au fond du couloir... Nan, y avait des tas de visage de femmes, de celle que j'avais croisé de Macao à maracaibo, sur toutes les mers du monde, pour une nuit ou quelques jours avant de reprendre la mer. Merde, elles m'engueulaient en plus.

" qu'est-ce que tu fous ? tu vas te bouger le cul ! " Elles m'disaient dans un concert hurlant.

Je leur ai bien dis d'aller se faire foutre, mais y avait pas de conviction dans la voix. Après tout, à l'heure de ma dernière heure, je preferais quand même être entouré de charmants minois... Et pis, le Grelé est venu avec son tronche de syphilitique ravagé, il ricanait et me souhaitait bon voyage. Le délire et le vrai se mélangeait dans ma tête.

Et puis, soudain sous la houle le frèle radeau s'est disloqué. J'étais toujours attaché mais que d'une seule main, et là haut sur le builduing flottant, y avait du monde qui s'agitait fort. J'ai pris une bouée sur le coin du crâne, mais ca ne pouvait pas être pire, de toute façon. Me suis accroché de ma main libre en priant le seigneur des mers de pas m'oublier la prochaine fois. Je dois être comme les chats, j'ai neuf vies, ce coup ci je m'en sors encore, mais à chaque fois, j'oublie le compte... Est-ce que ça compte la fois où j'ai sauté de la falaise dans la mer déchainé ? Et le coup où le type m'a tiré dessus à bout portant. Je me fais vieux pour continuer à faire l'andouille et trop con pour le reconnaître.

Et pis, une barcasse est venue me repêcher, z'ont eu du mal à dénouer la guinde. Mes marins, il savent s'y faire question noeuds. Ils m'ont tirer et hisser sur la coursive. Y a du monde, dieu de dieu, mais, j'ai du mal à pas voir trouble. en double ou en triple, j'ai du mal à suivre. Je ne peux que baragouiner. La seule qui fixe mon attention, c'est une passagère dont j'ai reconnu la voix. C'est elle qui m'a repéré. Et je lui dois une fière chandelle grosse comme un cierge à bonne soeur.

" Merci, je crois que cette fois-ci, j'ai failli y rester. "